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XIXe siècle

XIXe siècle
Mobilier

Duchesse brisée

En 1793, Paoli effrayé par la Terreur qui fait rage à Paris, appelle en Corse les Britanniques, et c’est ainsi que naît le royaume anglo-corse, qui va perdurer jusqu’en 1796.

Après sa victoire de Castiglione en Italie, Bonaparte envoie les généraux Gentili et Casalta pour reprendre la Corse aux Anglais, qui quittent l’île le 22 octobre sans opposer de résistance.

Le 6 pluviôse an VI (31 janvier 1797), le Directoire vote une loi destinée à indemniser les familles corses qui sont restées fidèles à la France. Une somme de trois millions est provisionnée : deux millions pour le département du Golo, un million pour celui du Liamone. Letizia, rentrée en Corse avec sa fille Elisa, estime ses pertes (bâtiments divers, mobilier, matériel agricole, troupeaux…) à deux cent quarante mille huit cent francs, dont mille six cents pour la seule Maison Bonaparte.

Pour celle qui a vécu dans la gêne avec ses filles et ses plus jeunes fils à Marseille et en Provence pendant ces trois années, c’est une manne qui va lui permettre de faire de la maison Bonaparte l’une des plus belles d’Ajaccio. C’est aussi, pour elle, une manière d’affirmer qu’avec les succès de son fils Napoléon en Italie, les Bonaparte retrouvent, et dépassent, la position qui était la leur à la mort de son mari Charles en 1785. Les temps de pénurie s’éloignent et Letizia, aidée d’Elisa et de Joseph, va redécorer sa maison à la dernière mode, « a l’ultimo gusto. » 

Elle va s’adresser à l’épouse d’un négociant de Marseille, madame Clary, pour qu’elle lui fasse parvenir tout ce qu’elle désire : une rampe pour l’escalier, des clochettes pour les chambres, des papiers peints, des rideaux, en plus de carreaux de terre cuite, de chaux et de tuiles. L’exil sur le continent de 1793-1796 a eu au moins l’intérêt de lui faire connaître des intérieurs provençaux, du pays niçois ou de Lombardie.

C’est ainsi que si l’intérieur des Bonaparte avant 1793 montrait des commodes à dessus de marbre, des tables à jeux en noyer, de grands miroirs et bien sûr des chaises, fauteuils et canapés, Letizia va commander chez Laplane à Marseille pour mille six cents livres de mobilier au goût du jour, qu’il expédie à Ajaccio le 22 septembre 1797 :

«  Huit fauteuils, six chaises avec garnitures, douze sans garnitures, une chaise longue, un bois de lit avec son palanquin (sic !), le tout pour 1600 livres. »

La chaise longue, c’est la duchesse brisée que l’on peut encore admirer dans le salon de Letizia, formée de deux sièges qui s’ajustent parfaitement. Un fauteuil à dossier normal et fond allongé, et un autre fauteuil qui lui fait face à dossier plus bas et fond allongé : le fauteuil bout de pied.

Le 11 mars 1799, Letizia s’installe chez son fils Joseph à Paris, elle ne reverra plus la Corse, et sera absente lorsque son fils Napoléon, de retour d’Egypte, fera escale à Ajaccio pour la dernière fois du 30 septembre au 6 octobre. Il découvre alors, enchanté, les aménagements faits par sa mère, aidée de Joseph et d’Elisa : la « grande » galerie, le décor des murs, les sols, le mobilier… et cette duchesse brisée, aristocratique, luxueuse et inutile, qui était comme le point final à leurs années de gêne.