Les grandes demeures de Corse
Couverture de l'ouvrage Grandes demeures de Corse : Les maisons patriciennes au temps des Bonaparte : 1769-1870, dessins de Pierre-Alexandre Soulat, publié aux éditions Albiana, à l'occasion de l'exposition consacrée à l'architecture des grandes demeures de Corse qui se tiendra prochainement à la Maison Bonaparte.
L'exposition se tiendra du 9 octobre 2020 au 10 janvier 2021. Elle regroupera les contributions des meilleurs spécialistes sur le sujet.
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Préface d'Amaury Lefébure,
Conservateur général du patrimoine,
directeur du Musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préaux.
Rien, sur le plan architectural, ne désigne vraiment à l’attention des passants la Maison Bonaparte, dans l’actuelle rue Saint-Charles, hormis son emprise au sol, à l’angle de deux voies étroites, et sa hauteur. Aucun élément d’architecture ou de décor ne vient signaler un édifice particulier. Une simple bâtisse, autrement dit un gros bâtiment sans caractère, telle est la maison natale de Napoléon ! Seul un écu sculpté aux armes des Bonaparte, remonté au-dessus de la fenêtre centrale du premier étage en 1899, rappelle l’origine aristocratique de la famille, tandis qu’une plaque commémorative, placée au-dessus de la porte d’entrée, sous le Second Empire, évoque la naissance du futur empereur.
Alors, est-ce bien là une demeure digne d’un tel homme ? A-t-elle évolué dans le temps ? Que nous dit-elle du statut social de ses occupants ? Que nous apprend-elle de l’architecture corse et plus particulièrement de celle des maisons patriciennes au temps des Bonaparte ? Toutes ces questions et les recherches menées pour y répondre sont au coeur de l’exposition. Le sujet n’avait pas encore été exploré et les spécialistes réunis autour de Jean-Marc Olivesi apportent, par leurs contributions, des renseignements nouveaux et inédits sur les demeures corses, du XVIème au XIXème siècles. Qu’ils soient ici tous chaleureusement remerciés. Ces demeures témoignent d’une grande diversité dans les plans, l’organisation de l’espace et le jeu des décors, les influences, italiennes ou françaises, voire suisses. Toutes révèlent les différences sociales et les ambitions de leurs propriétaires. Signalons que la maison des Milelli, propriété rurale des Bonaparte, a été volontairement écartée de l’étude, car elle devrait faire l’objet d’une publication spécifique.
Après l’exposition « Le mobilier en Corse au temps des Bonaparte », en 2018, avec laquelle elle forme un diptyque, cette exposition restera comme un autre temps fort de la découverte - ou redécouverte - du patrimoine corse, cette fois en matière architecturale. Le projet n’aurait pu être mené à bien sans l’aide de la Direction régionale des affaires culturelles de Corse, la Collectivité de Corse, des villes d’Ajaccio, de Bastia et de Bonifacio. Il est heureux que ce soit dans la Maison Bonaparte, lieu de mémoire, mais aussi demeure patricienne par excellence, que ce patrimoine soit mis en valeur.
Grandes demeures de Corse,
Les maisons patriciennes en Corse au temps des Bonaparte : 1769-1870.
Dessins de Pierre-Alexandre Soulat.
par Jean-Marc Olivesi,
conservateur général du patrimoine au Musée national de la Maison Bonaparte
L'exposition se tient du 9 octobre 2020 au 10 janvier 2021
Le témoignage d’Honoré de Balzac visitant la Maison Bonaparte est lapidaire : « Je suis allé voir la maison de Napoléon, et c’est une pauvre baraque ». Il s’oppose au regard de l’historien contemporain Michel Vergé-Franceschi : « l’immense maison Bonaparte ». C’est que la maison Bonaparte, comme beaucoup de maisons patriciennes corses, surprend le visiteur qui ne dispose pas de grille de lecture pour l’étudier.
Des façades très dépouillées, quasiment sans modénature, les distinguent rarement des immeubles d’habitation voisins. Seuls un portail élaboré et des armoiries de marbre les signalent au passant. La structuration ornementale, ou Concatenatio, de la façade ne viendra vraiment qu’avec le Second Empire. On est loin du palais Spada à Rome ou de nombre des palais de Gênes dessinés par Rubens. Ainsi les maisons de notables dans des villages riches, et certaines demeures urbaines surprennent à la fois par leur simplicité et leur taille considérable.
Cette exposition présentera donc des plans, élévations et coupes d’époque ainsi que des dessins d’architectes, et en particulier des aquarelles de Pierre-Alexandre Soulat, des photographies contemporaines qui témoigneront de l’enrichissement des familles insulaires, de la position qu’elles chercheront à tenir dans la société corse, et enfin de l’image que cette classe sociale voudra donner à ses visiteurs venus de l’extérieur.
Les modèles traditionnels (corses ou génois) , les influences françaises (Paris, Provence), les influences italiennes (des palais de Rome aux maisons de plaisance de Toscane ou de l’île d’Elbe napoléonienne) , et plus tard des modèles parmi les plus somptueux de l’Angleterre victorienne (probablement connus au travers des magazines illustrés), tout cela réuni donne aux demeures patriciennes corses de ce temps cette intégration parfaite dans le paysage (rural ou urbain) et le charme tout particulier des créations qui font appel aux modèles les plus originaux . S’il n’a pas l’homogénéité des hôtels et châteaux français, ou celle des palais et villas italiens, le corpus des demeures patriciennes corses de ce temps offre toute la diversité de la société insulaire de cette époque agitée, mais passionnante.
Architecture et société
Qu’il s’agisse de la masse du bâtiment dans l’espace urbain, du décor de ses façades et du rythme des baies, du plan, de la distribution intérieure, les demeures patriciennes en Corse forment un corpus homogène mais présentant quelques variantes. Puis, l’accession au pouvoir de la famille Bonaparte va entrainer des familles parentes et alliées à construire des demeures pour illustrer le rang social auquel elles sont arrivées.
La Maison Bonaparte dispose à la fois d’un grand salon, d’une galerie, d’une salle à manger et d’un fumoir… Les Bonaparte ont connu à la fois les plans très articulés et complexes des hôtels particuliers parisiens, dont les espaces correspondent à des fonctions plus différenciées, et les grandes demeures de Provence ou de Lombardie.
Si le musée national est avant tout le berceau d’une personnalité parmi les plus illustres de l’histoire de l’Humanité, il abrite aussi l’une des plus importantes, des plus intéressantes et des mieux conservées parmi les demeures corses datant du siècle d’or de l’île : le XVIIIème siècle.
Cette diversité de l’organisation de l’espace n’a d’égale que celle des différentes strates de la notabilité corse : L’aristocratie d’origine génoise : ces Doria, Giustiniani, Spinola installés en Corse, coexiste avec les feudataires corses ( Signori de Bozzi, della Rocca, Leca, Istria, Ornano dans le sud, Gentile et da Mari dans le Cap…), les familles de Caporali dans le centre de l’île, les Benemeriti (ceux qui ont bien mérité de la République de Gênes) dans les présides, les familles devenues éminentes par des charges de notaires, de juristes ou de magnifiques anciens (Bonaparte). Pour autant, si cette élite est très diverse, on ne saurait dire que tel type architectural corresponde aux Signori, aux caporali, ou aux benemeriti…
Chaque famille, en fonction de son histoire particulière, de ses prétentions dans la société du temps (proximité avec un grand seigneur français ou italien, enrichissement considérable aux Indes ou dans des campagnes militaires, juristes reconnus (maintenus) nobles par la monarchie française ; les chantiers que lancent ces familles ne correspondent pas à une situation, mais semblent accompagner un changement de statut en cours. Puis, à de rares moments, des familles plus anciennes, titillées par ces grands chantiers, peuvent décider d’agrandir ou de mettre au goût du jour leurs demeures ancestrales.
Il en était peut-être de même pour les demeures comme pour les vêtements : Ils ne devaient pas signifier trop la distance sociale, tout en marquant le rang du propriétaire. La construction de grandes demeures comme celles de l’élite corse est impensable pour les gens du peuple, mais du moins ces demeures patriciennes ne les écrasent pas par l’originalité de leur plan, la science de leurs références architecturales ou l’ornementation de leur décor. L’ampleur de la demeure signifie le rang social du propriétaire et sa puissance dans la communauté, mais elle ne l’isole pas complètement de ses compatriotes. Cette aménité sociale ayant été la clé du succès de l’indépendance corse. Plus généralement les façades très ornementées sont rares. C’est ainsi que la maison Bonaparte a gardé la simplicité de sa façade, tandis que les décors de façade en trompe-l’œil du palais Pozzo di Borgo et le décor de frontons, cordons, bandeaux et tables de la maison Piazza-Alessandrini à Oletta datent seulement du début du XXème siècle.
Interview de Jean-Marc Olivesi, conservateur général du patrimoine au musée national de la Maison Bonaparte
Les aquarelles de Pierre-Alexandre Soulat
Maison Catacciolo
Escalier de la maison Canari
Corte - Maison Gaffori
Giubega
Maison Peraldi
Palais Pozzo di Borgo
Palais Caraffa
Pour approfondir...
Le décor du vestibule de la Maison Castagnola à Bastia
Les voûtains et les lunettes de la Maison Castagnola à Bastia sont ornés du plus ancien décor profane actuellement connu en Corse, et datant du début du XVIIe siècle. Face à l’entrée, une scène représentant les argonautes Idmon et Mopsos dans une galère conduite par Apollon est copiée d’une gravure intégrée dans un recueil publié en 1608 à l’occasion des fêtes du mariage du Grand-duc de Toscane, Côme de Medicis, avec l’archiduchesse Marie-Madeleine d’Autriche; ainsi que l’ont démontré les recherches de Michel-Édouard Nigaglioni.
La Maison Piazza à Oletta
Vers 1910, le comte François-Marie Piazza-Alessandrini s’adresse à l’architecte bastiais Adolphe Peretti, formé à Rome, pour embellir sa demeure d’Oletta. Peretti lui proposa le projet ici reproduit qui fut réalisé juste avant la guerre.
La demeure des comtes Piazza-Alessandrini, donnant sur la place de l’église du village d’Oletta (HauteCorse) est constituée de deux grandes maisons mitoyennes, rendues communicantes. Ces bâtiments anciens, d’époques diverses, alignaient leurs façades principales (l’une comptant trois travées de fenêtres, l’autre quatre). Peu avant la guerre de 1914-1918, l’architecte bastiais Adolphe Peretti (né en 1872 et formé à Rome), fut chargé d’embellir l’aspect de cet ensemble disparate en le dotant de façades architecturées unifiées. L’architecte réalisa une série de planches intitulées « Projets de façades pour la maison de monsieur le comte Piazza, à Oletta » (datées du 22 septembre 1910). Les commanditaires agréèrent les dessins et les travaux d’exécution furent fidèlement exécutés. Adolphe Peretti sût intelligemment tirer parti de l’irrégularité imposée. Le résultat de son travail donne l’illusion d’un palais conçu d’un seul jet. Les façades de style néoclassique semblent volontairement jouer sur des rythmes et des modules divers, ceci afin d’éviter la monotonie qu’aurait immanquablement créé une longue façade, régulièrement ordonnancée. L’effet produit est élégant et pittoresque.
Aquarelles sur papier - Collection particulière