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Présentation exceptionnelle de trois manuscrits de Marchand

Livre de dépenses de la toilette et de la cassette (1815 - 1820) - Précis des Guerres de César par Napoléon - Souvenirs de l’île d’Elbe, des Cent-Jours et de Sainte-Hélène (1814 -1823)

J’ai dû admirer tant de génie, de talents et de gloire sur le trône, tant de courage, de résignation et de grandeur dans l’adversité, et toujours et partout tant de sensibilité et de bonté pour les siens. Je n’ai qu’une crainte, je n’aurai qu’un regret: c’est que ma plume ait manqué à mon coeur.

Marchand

 

 

 

 

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Ces trois manuscrits sont présentés pour la première fois ensemble du 5 mai au 8 août 2016. Ils sont révélateurs de la place unique que Marchand, 1er valet de chambre de l’empereur, occupa à Sainte-Hélène entre 1815 et 1821. Ils reflètent la confiance totale que Napoléon, prisonnier des Anglais, lui accorda, au point qu’il le désigna, peu avant sa mort, comme l’un de ses exécuteurs testamentaires, avec les généraux Bertrand et Montholon.

Marchand est sans conteste le seul, au sein de la Maison impériale en exil, qui aurait pu se prévaloir du double titre - jalousé - d’ami intime et de témoin privilégié. Il tenait les comptes de la cassette impériale, mais très vite, l’empereur l’employa également comme lecteur ou comme secrétaire, lui dictant, souvent la nuit, quelques-uns de ces abondants travaux d’écriture auxquels il se livrait pour tromper l’ennui. Dans son testament, Napoléon précisa à son sujet que les services qu’il lui avait rendus étaient ceux d’un ami.  C’est pourquoi, il se montra généreux. Les 400 000 francs qu’il lui légua firent de lui un homme riche et respecté. Et pour mieux asseoir encore la position sociale de son fidèle valet de chambre, l’empereur assortit sa libéralité du vœu qu’il épousât, à son retour en France, la veuve, la sœur ou la fille d’un officier ou d’un soldat de sa vieille Garde. Souhait que Marchand exhaussera par son mariage en 1823 avec la fille du général comte Brayer.

 

Sainte-Hélène. Livre de dépenses de la toilette et de la cassette, du mois d’octobre 1815 au mois de juin 1820, arrêté chaque mois par l’empereur Napoléon

 

Registre relié en percaline violette

Dos en peau de même couleur avec titre doré au fer

58 pages non numérotées

H. 32,7 cm ; l. 21 cm ; ép. 1 cm

Musée national du château de Malmaison

M.M.40.47.8323

Don comte Albéric Desmazières-Marchand, 1924

 

 

A l’île d’Elbe déjà, Napoléon avait confié à Marchand le soin de sa cassette. Celui-ci lui en présentait chaque mois la dépense, exprimée en livres, shillings et en pence. L’empereur en arrêtait lui-même les comptes. Il appartenait au 1er valet de chambre de pourvoir aux besoins intimes du souverain, à l’entretien de son linge et de ses vêtements, ainsi qu’à leur renouvellement. Ce document montre combien Napoléon, attentif à son hygiène corporelle, restait un homme d’habitudes, même déchu et relégué dans une île au milieu de l’Atlantique Sud. Il suffit pour s’en convaincre, de relever, par exemple, sa consommation d’eau de lavande, 10 bouteilles par mois, qui remplaçaient les rouleaux d’eau de Cologne que lui fournissaient jadis les parfumeurs parisiens ou encore les briques de savon, dont il devait se contenter faute de trouver sur place les fameux savons parfumés de Windsor ou les savonnettes à la fleur d’oranger qu’il affectionnait tout particulièrement. La cassette servait à payer également les fournitures de bureau, les journées des ouvriers chinois employés à divers travaux, des achats de fleurs, de pièces de tissus, de cirage, etc. Les frais de blanchissage constituaient cependant l’une des dépenses les plus importantes, car, en ce domaine aussi, Napoléon ne changeait rien à ses habitudes. Ainsi, en janvier 1816, Marchand acquitta le nettoyage de 50 chemises, 16 gilets et 70 mouchoirs, à comparer aux 36 chemises et 14 gilets qui avaient été envoyés au blanchisseur Barbier, en janvier 1812. Ce Livre de dépenses de la toilette et de la cassette constitue avec son pendant le Livre de comptes de Pierron, le chef de l’office, pour les dépenses de bouche (Archives Nationales, Fonds famille Bonaparte, 176 AP/1, pièce 8) une source incontournable pour l’étude de la vie quotidienne de l’empereur à Sainte-Hélène.

 

 

Précis des Guerres de César par Napoléon, écrit par Marchand à Sainte-Hélène, sous la dictée de l’Empereur, suivi de plusieurs fragments inédits

 

Manuscrit autographe relié en percaline violette, avec étui

Dos en peau de même couleur avec titre doré au fer

H. 33,2 cm ; l. 21 cm ; ép. 1cm

Musée national du château de Malmaison

M.M.40.47.8330

Don comte Albéric Desmazières-Marchand, 1924

 

Ce manuscrit était resté en possession du général Bertrand, qui n’envisageait pas de le publier, quand en 1833 Marchand sollicita de l’ancien grand-maréchal du palais de l’empereur, l’honneur de s’en charger, sous prétexte qu’il en avait été le transcripteur à Sainte-Hélène, au cours de l’année 1819. «Les Commentaires de César, précisa-t-il dans sa préface, m’ont été dictés entièrement et presque constamment dans de longues insomnies, « où le travail, disait-il [Napoléon], apportait de l’adoucissement à ses souffrances, et jetait quelques fleurs sur le chemin qui le conduisait au tombeau. » Pour les besoins de l’édition, qui parut en 1836 chez Gosselin, dans la collection des « Mémoires pour servir à l’histoire de Napoléon », Marchand organisa le texte en seize chapitres. Il y ajouta, regroupés sous le titre « Divers fragments », une note sur le « Deuxième Livre » de l’Enéïde de Virgile, des observations sur Mahomet, la tragédie de Voltaire, une pensée sur le suicide, ainsi que le deuxième codicille du testament de l’empereur. Le 12 mars 1836, le journaliste Armand Carrel, dans les colonnes du National, saluera en ces termes la sortie de l’ouvrage: « Napoléon ne s’attache qu’à discerner dans le récit de César comment les faits se sont passés, puis il s’en empare et les raconte dans l’ordre qui convient à son esprit et avec le mouvement de ses propres impressions. »

 

Souvenirs de l’île d’Elbe, des Cent-Jours et de Sainte-Hélène. [Retour des cendres de l’Empereur en France sous la conduite de S.A.Royale le prince de Joinville]

Par Louis Marchand – (comte) – premier valet de chambre de l’empereur Napoléon, l’un de ses exécuteurs testamentaires, membre de la Commission de Sainte-Hélène, chevalier de la Légion d’honneur, membre de la Commission du testament de l’Empereur au ministère des Affaires étrangères.

 

Manuscrit autographe

160 feuillets

H. 31 cm ; l. 23 cm ; ép. 6,5 cm

Musée national du château de Malmaison

Don comte Albéric Desmazières-Marchand, 1924

C’est pour ma fille, ma chère Malvina, c’est pour les personnes qui aimaient l’Empereur que j’ai recueilli mes souvenirs : ils contiennent la vérité. Ils apprendront Napoléon à Sainte-Hélène aussi grand dans l’adversité que sur son trône lorsqu’il commandait à l’Europe, toujours lui-même ; FOUDROYE MAIS DEBOUT.

 

A la différence des autres témoins de la captivité de Napoléon, comme Las Cases, Gourgaud, Bertrand ou Montholon, qui tenaient chacun leur journal et allaient devenir les mémorialistes de ce temps funèbre de l’épopée impériale, Marchand ne se plia pas à ce type d’exercice. Il griffonna peut-être quelques carnets, mais rien n’assure, parce qu’il n’y avait pas été expressément autorisé par l’empereur, qu’il ait consigné au jour le jour les faits ou ses propres impressions dans le secret de sa chambre. Bien des années plus tard, une fois devenu père de famille, il ressentit la nécessité d’apporter sa contribution personnelle à l’histoire de son héros, alors qu’avaient déjà paru en 1823 et en 1830, chez Firmin Didot et Bossange, sous le titre Mémoires pour servir à l’histoire de France sous Napoléon, les dictées de Napoléon à Gourgaud et à Montholon. « Mes souvenirs, devait-il écrire en 1836, dans la préface du Précis des guerres de César, seront donc dus à ma mémoire. Puisse la publicité que je me propose de leur donner un jour, montrer l’empereur tel que je l’ai vu : grand de génie, de talent et de gloire sur le trône ; grand de courage et de résignation dans l’adversité . » Il répondait ainsi à la curiosité de sa fille Malvina (née en 1824), désireuse de connaître la vie de Napoléon à Saint-Hélène. Marchand avait donc d’abord songé à publier ses Souvenirs, puis il s’était ravisé et avait demandé qu’on n’en fît rien. Sa fille recueillerait un jour son témoignage, qui passerait ensuite à sa descendance.

 

 

Chronologie

28 mars 1791 : naissance à Paris de Louis Joseph Narcisse Marchand, fils de Charles Joseph Marchand, bourgeois, et de Marie Marguerite Broquet, son épouse.

Février 1811 : Madame Marchand est nommée première berceuse du Roi de Rome. Son fils entre comme huissier de la chambre dans la Maison de l’empereur.

Mai 1814 : Marchand, qui a suivi Napoléon à l’île d’Elbe, devient premier valet de chambre, en remplacement de Constant qui a abandonné l’empereur.

Mars-juin 1815 : durant les Cents-Jours, Marchand conserve ses fonctions auprès de Napoléon.

18 juin 1815 : à Waterloo, Marchand ne peut empêcher le pillage par l’ennemi des voitures de l’empereur .

21 juin 1815 : Marchand offre à Napoléon, qui vient d’abdiquer, de partager son sort.

16 octobre 1815 : Napoléon et sa suite débarquent à Sainte-Hélène. Marchand supervise le service de la chambre. Il a sous ses ordres deux chasseurs (le mamelouk Ali et Noverraz) et un huissier (Santini).

15 avril 1821 : Napoléon institue « les comtes Montholon, Bertrand et Marchand » ses exécuteurs testamentaires et lègue 400 000 francs à Marchand.

5 mai 1821 : mort de Napoléon, que Marchand a inlassablement assisté jusqu’à son ultime souffle.

15 novembre 1823 : Marchand, conformément aux vœux de Napoléon, épouse Mathilde Brayer, (1805 - 1881) la fille du général comte Brayer.

7 juillet – 30 décembre1840 : Marchand participe, avec les généraux Bertrand et Gourgaud, à l’expédition de Sainte-Hélène, commandée par le prince de Joinville, fils du roi Louis-Philippe, qui doit rapatrier en France les cendres de Napoléon.

9 juillet 1856 : Marchand donne au Musée des Souverains, aménagé au Louvre, les effets personnels de l’empereur qu’il a conservés.

2 avril 1861 : Marchand est fait officier de la Légion d’honneur par Napoléon III, le jour de la translation des cendres de Napoléon 1er de la chapelle Saint-Jérôme dans le tombeau des Invalides.

18 juillet 1868 : un décret impérial confirme à Marchand le titre héréditaire de comte qu’il prétendait tenir de Napoléon 1er.

19 juin 1876 : décès du comte Marchand dans sa maison de Trouville-sur-Mer, à l’âge de 85 ans. Avec lui disparaît le dernier mémorialiste, témoin de la captivité de Napoléon à Sainte-Hélène.

25 juin 1924 : le comte Albéric Desmazière-Marchand, son petit-fils, donne au Musée de Malmaison les reliques recueillies par son grand-père, ainsi que ses manuscrits et papiers personnels.