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Autour de trois documents inédits sur Martin Guillaume Biennais (1764-1843)

Article rédigé par Isabelle Tamisier-Vétois

 

 

Autour de trois documents inédits

sur Martin Guillaume Biennais (1764-1843).

 

Par Isabelle Tamisier-Vétois

Conservateur en chef du patrimoine

 

 

L’exposition Meubles à secrets-Secrets de meubles, qui s’est déroulée du 17 novembre 2018 au 10 mars 2019 à Malmaison, a donné l’occasion d’étudier le fonctionnement de l’atelier de Martin Guillaume Biennais en mettant l’accent exclusivement sur son activité de tabletier et de marchand de meubles.[1]

Afin de compléter cette étude de l’atelier, trois articles inédits parus dans la presse à partir de la mort de cet artiste, mettent en lumière des éléments sur l’œuvre et la vie de Martin Guillaume Biennais.

 

Martin Guillaume Biennais, un artisan hors du commun.

 

Au-delà de l’étude artistique de sa production, c’est l’évolution de son négoce qui interpelle. Cet artisan, pendant ses trente-trois ans de carrière, sut faire évoluer son métier et suivre les attentes d’une clientèle fortunée et avide de luxe. Au milieu d’une société en pleine mutation, celui-ci profita des bouleversements de l’organisation du travail avec la suppression notamment du système corporatif. Libre à lui de fabriquer et de vendre ce qui lui semblait opportun, de diversifier sa production pour suivre l’évolution du goût.

Comment qualifier ce fils de laboureur normand : opportuniste ou génial commerçant ? Une certitude demeure, il sut se faire remarquer d’une clientèle émergente dès le début du nouveau siècle. A la différence de bon nombre de ces collègues, comme notamment Jacob-Desmalter (1770-1841), qui connurent au cours de l’Empire des soucis financiers, Biennais fut à la tête d’une entreprise prospère. Son successeur Jean-Charles Cahier (1772-1857) eut moins de chance. Il déposa son bilan en 1828, soit sept ans après la reprise du fonds Biennais.

Son ascension sociale fulgurante lui offrit de côtoyer les plus grands personnages de son temps. Preuve s’il en faut, la présence aux mariages de deux de ses filles des plus hautes personnalités de l’Empire. Ainsi, le 18 novembre 1809, Adrienne Rosalie (1789-1828), fille née de son premier mariage avec Rosalie Maheu, épousa le marchand joaillier Louis Henri Gibert. Ce mariage fut conclu en présence de l’Impératrice, la reine de Hollande, la princesse Pauline, l’Archichancelier de l’Empire, Jean-Jacques Régis de Cambacérès, Charles-Maurice Talleyrand-Périgord, prince de Bénévent, le Grand chambellan, comte de Montesquiou, le ministre des Relations extérieures du royaume d’Italie, Marescalchi, le comte Regnaud de Saint-Jean d’Angely, le comte Estève, le comte de Remusat et de son épouse et madame de Caoro, dame d’honneur de la princesse Pauline.[2] Liste impressionnante qui atteste de sa reconnaissance au sein de la cour impériale. [3]

Au-delà de liens commerciaux qui unissaient ces différents protagonistes et asseyaient la notoriété de l’artiste, ce fut probablement l’amitié qui rapprocha Biennais de l’ancien Premier valet de Chambre de l’impératrice Joséphine, Pierre Joseph Frère. En effet, ce dernier témoigna devant notaire de la disparition de Biennais, le  27 mars 1843, à 7h du matin à son domicile, au 283, rue Saint-Honoré. [4] Les obsèques eurent lieu le 30 mars 1843 à Saint-Roch.

 

L’oraison funèbre de Martin Guillaume Biennais.

 

Lors des obsèques au Père-Lachaise.[5], le préfet de la Seine, Alphonse Taillandier, prononça sur la tombe le discours suivant que publia deux jours plus tard, le 1er avril 1843, le journal Le Siècle. Ce premier document apporte le regard officiel de ses contemporains.

« Nécrologie.

Les obsèques de M. Biennais, ancien orfèvre de l’empereur, ont eu lieu hier à Saint-Roch au milieu d’un grand concours d’amis du défunt. Au cimetière du Père-Lachaise, M. Taillandier a prononcé le discours suivant sur la tombe de M. Biennais :

« Messieurs,

Avant de nous séparer, disons un dernier adieu à l’homme de bien dont la tombe va se refermer. Rappelons-nous, en peu de mots, cette longue carrière parcourue avec tant d’honneur, et qui nous montre ce que peuvent l’énergie du caractère, l’intelligence appliquée aux opérations commerciales, la probité la plus constante et la plus éprouvée.

Guillaume Biennais (sic) naquit à Lacochère, village près d’Argentan, département de l’Orne, le 29 avril 1764. Sa famille avait peu de fortune, bien jeune encore, et après avoir réalisé son faible patrimoine, il vint à Paris dans le désir de se procurer un état. Il commença d’abord par travailler comme simple ouvrier dans la tabletterie ; mais ne tarda pas à voir que cette industrie était trop restreinte et que sa destinée l’appelait à exercer un art qui devait offrir à sa haute intelligence des ressources bien autrement étendues. Il embrassa la profession d’orfèvre, et vous savez, messieurs, quelle source de richesses et de renommée elle devait offrir devant lui. Une circonstance fortuite vint le placer à la tête de l’orfèvrerie de Paris. Le général Bonaparte, à son retour d’Egypte, voulut monter sa maison. Il ne possédait encore d’autre fortune que sa gloire ; aussi, les négociants auxquels il s’adressa d’abord refusèrent de lui vendre à crédit. Biennais eut plus de confiance dans l’étoile du jeune général, et il lui fit des fournitures considérables sans s’inquiéter de l’époque où elles lui seraient remboursées. Napoléon fut reconnaissant de cette marque de confiance, et, devenu empereur, il prit Biennais pour son orfèvre. L’excellent homme que nous pleurons sentit tout ce que cette position lui commandait. Il s’adressa aux artistes les plus célèbres, s’environna des ouvriers les plus habiles, et sous sa main flexible, l’or et l’argent prirent les formes les plus nobles et les plus gracieuses. Percier et Fontaine[6] lui fournirent les dessins des plus belles pièces qu’il fit exécuter, et ses productions, véritables chefs-d’œuvre de genre, furent recherchées dans toutes les cours de l’Europe. Ainsi l’art de Benvenuto Cellini ressuscita parmi nous, et tandis que Kirchsten le faisait fleurir à Strasbourg, Biennais à Paris le cultivait sur un plus grand théâtre et conservait à notre capitale l’une des gloires de son industrie.

Biennais ne fut pas seulement un artiste habile, il exerça le commerce avec une intelligence supérieure et une probité à toute épreuve. Je ne vous en citerai qu’un exemple.
Un jour Biennais fut dénoncé avec perfidie à l’empereur comme n’ayant pas donné le poids voulu dans une fourniture considérable. Averti de cette calomnie, il exigea une vérification immédiate, et le poids fut trouvé supérieur à ce qu’il devait être. Aussi depuis cette époque, l’empereur augmenta encore la confiance qu’il avait en lui, il le traitait avec la plus aimable bienveillance et le chargeait de faire exécuter non seulement ce qui rentrait dans sa profession, mais ses voitures, ses nécessaires de voyages, et ne perdit pas une occasion de lui témoigner sa vive satisfaction.

Les produits de la fabrique de Biennais furent remarqués aux brillantes expositions de l’industrie qui eurent lieu sous l’Empire et lui valurent la médaille d’or.[7] Le gouvernement de Juillet le récompensa plus dignement encore des grands progrès qu’il avait fait faire à l’une des branches les plus importantes de l’industrie parisienne, en lui décernant la croix de la Légion d’Honneur.

Chef d’une nombreuse et honorable famille[8], Biennais était encore, malgré son âge avancé, dans la force de son intelligence et de sa santé, lorsque la maladie qui l’a emporté est venue l’atteindre. Regretté de cette famille et de ses nombreux amis, sa mémoire ne s’effacera pas dans l’esprit de tous ceux qui l’ont connu, et la haute position qu’il a su atteindre sera une nouvelle preuve que, dans notre heureuse organisation sociale, le simple ouvrier, lorsqu’il est doué d’une vaste intelligence, d’une inflexible probité, d’une force de volonté inébranlable, peut, en honorant son pays, parvenir à une grande fortune et s’acquérir l’estime et la considération de ses concitoyens. Tel fut Biennais, tel il vivra dans nos souvenirs, tel son nom se conservera parmi les noms de ceux qui ont le plus honoré le commerce et l’industrie de cette grande cité. »

Le Siècle, 1er avril 1843

 

Le souvenir de Biennais en 1883.

 

 

Quarante ans après la mort de Biennais, à l’occasion de sa publication consacrée à François-Désiré Froment-Meurice, Philippe Burty évoqua la carrière de Biennais[9]. Cet ouvrage trouva un écho dans Le Figaro du 17 juin 1883, qui en reprit les grandes lignes et en consacra une partie à la carrière de Biennais. Ce second document, quelque peu critique, amena quelques jours plus tard une mise au point de la part d’une des filles de Biennais.

 

Extrait d’un article Un orfèvre de G. Souvenance.

 

« […]  Un autre orfèvre faisait alors concurrence à Odiot. C’était M. Biennais, tabletier, à l’enseigne du Singe violet, rue Saint-Honoré, dans la maison où est établie la fabrique de chocolat Devinck[10]et où Joubert-le philosophe Joubert - tenait salon où se réunissait Chateaubriand, Chénedollé, Fontanes, Guéneau de Mussy, Mme de Vintimille, M. Mollé - Ce Biennais avait établi sa fortune d’une manière originale. Au moment de la campagne d’Égypte, il avait fait crédit d’un nécessaire de voyage à beaucoup d’officiers. Au retour, les survivants lui devinrent une clientèle. Il vendait non seulement de la tabletterie, mais des bijoux, de la joaillerie. Il fabriquait aussi les décorations, croix et crachats. On en ramassait beaucoup alors, sur les champs de bataille, parmi les tibias cassés et les bras emportés. Biennais avait pris pour titre : Orfèvre de S.M l’Empereur et Roi.

Lorsque les alliés entrèrent à Paris, ce n’en fut pas moins chez Biennais que la garde impériale russe ordonna la copie en argent d’un vase étrusque qu’elle offrit, par souscription, à l’empereur de Russie en 1814. Le commerce n’a pas de patrie. Mercure fut le premier des Internationalistes.[11]

Mais, chose curieuse, avec l’invasion des soldats coïncide l’invasion de l’orfèvrerie anglaise. Sous Louis XVIII, on ne fait que du genre anglais. Odiot et Biennais font de l’anglais comme ils ont fait du néo-grec ».

Le Figaro, 17 juin 1883

 

Martin Guillaume Biennais selon sa fille Adrienne Biennais

 

Le 30 juin suivant, la quatrième fille de Biennais, Adrienne Pinçon de Valpinçon (1798-1884) publia une réponse apportant de précieuses indications sur l’activité de son père.[12] Ce troisième document inédit et très intéressant, donne une autre dimension aux documents d’archives jusqu’alors étudiés. Il faut cependant garder à l’esprit la valeur sentimentale qu’elle y a peut-être ajoutée, comme un ultime hommage d’une femme très âgée à son défunt père. Elle disparut elle-même moins d’un an après, le 14 mars 1884 à Menton, à l’âge de quatre-vingt-six ans.[13]

 

« Boîte aux lettres     

 

La fille de l’orfèvre Biennais, orfèvre de Napoléon 1er, nous adresse, à propos de l’étude de G. Souvenance sur l’orfèvrerie française, la lettre suivante où elle répond à des assertions reproduites par notre collaborateur d’après un livre de Ph. Burty. Ce n’est même pas, du reste, M. Burty qui a raconté l’histoire de Biennais. C’est Froment-Meurice père, qui, dans ses notes remises au duc de Luynes et imprimées par M. Bardy a donné l’origine de la vogue dont l’orfèvre Biennais jouit sous le premier empire, une cause qui serait inexacte. La fille de Biennais, qui a gardé pour la mémoire de son père un véritable culte et dont les souvenirs du passé sont très présents, Mme Pinçon de Valpinçon nous adresse une lettre doublement intéressante et par l’émotion qui y règne et par les faits qu’elle met en lumière et fixe définitivement :

« Monsieur,

J’ai lu avec le plus vif intérêt l’article que vous avez consacré à l’histoire de l’orfèvrerie française dont mon père, M. Biennais, fut une des plus grandes illustrations sous le premier Empire.

Permettez-moi de relever quelques erreurs que contient le livre que vous citez. Il est dit que « Biennais, tabletier, avait établi sa fortune d’une manière originale ». Effectivement, avant d’être orfèvre, mon père avait commencé par être tabletier. Il était à la mode alors d’apprendre à tourner. Philippe-Egalité, le duc de Chartres, depuis Louis-Philippe venait continuellement tourner à l’atelier de mon père. Robespierre était aussi un des assidus de la rue Saint-Honoré et je dois dire que sa présence jetait ma mère dans un grand effroi. Quant à la façon originale dont Biennais avait établi sa fortune, vous me permettrez de trouver cette expression aussi dégagée qu’inexacte. Ce n’est pas aux officiers de Bonaparte, partant pour l’Italie, que mon père fit alors crédit d’un nécessaire de voyage, mais il livrait à Bonaparte lui-même, alors simple général, pour cent mille francs d’argenterie. Mon père les risquait, mais plein de confiance et d’enthousiasme, il n’hésite pas un seul instant. L’Empereur, dans la suite, fut si reconnaissant envers mon père, qu’il le nomma son unique orfèvre (Monsieur Odiot était l’orfèvre de Madame Mère) et qu’il ne cessa jamais de témoigner à lui et aux siens une estime toute particulière. C’est mon père qui exécuta la couronne d’or du sacre et qui eut l’honneur de l’essayer lui-même à l’Empereur. Une des feuilles de laurier d’or est restée dans ma famille. C’est lui aussi qui a incrusté le Régent sur le sceptre impérial, et exécuté la première croix de la Légion d’honneur, qu’il porta au camp de Boulogne à Napoléon.

Autre inexactitude : Avant 1814, l’Empereur avait commandé à mon père un service d’argenterie unique (une des soupières seule avait coûté 30 000 francs de travail) pour en faire présent à l’Empereur de Russie. 1815 arriva et le service resta à mon père. Je relève encore une phrase qui m’a été bien douloureuse. Vous avez été induit en erreur, Monsieur, en disant à propos de mon père que le commerce n’avait pas de patrie. Comme tous les Parisiens, nous avons été obligés de nourrir les cosaques, mais après Waterloo, dans sa reconnaissance pour l’empereur cet original de Biennais cessa de travailler et vendit sa maison.

Permettez-moi, Monsieur, de vous donner encore quelques renseignements oubliés aujourd’hui. L’Empereur avait une telle confiance dans l’intelligence de mon père, qu’il lui demandait souvent des choses en dehors de l’orfèvrerie, toujours sûr d’être compris à demi-mot. C’est sur les indications de mon père que fut exécutée la célèbre berline de voyage qui fut prise à Waterloo et qu’on voit à Londres. La reine Caroline avait commandé à mon père la table à échecs en or et corail qui a figuré au musée des souverains. Un an avant sa chute, l’Empereur avait également commandé pour le roi de Rome un jeu de loups et de moutons en or et argent que je vois encore, et dont les pièces se mouvaient au son de la musique. Le joujou n’était pas achevé en 1815.

En 1835 ou 1836, si mes souvenirs sont exacts, la reine Caroline, accompagnée de Mme Excelmans, vint rendre visite à ma mère et fut touchée de retrouver tous ces souvenirs d’un passé si glorieux et si triste. Elle nous en témoigna toute sa reconnaissance.

Mon beau-frère, M. Berger, préfet de la Seine, eut l’honneur d’offrir au prince président, au nom de la famille Biennais, une épée ayant appartenu à son oncle et que mon père avait précieusement conservée.

Tels sont les faits qui, avaient été un peu dénaturés faute, sans doute, de renseignements positifs.

Daignez agréer, monsieur, l’assurance de mes sentiments les plus distingués.

  1. Pinçon de Valpinçon

(née Biennais)

                                                                                                          Le Figaro, 30 juin 1883

 

Quelques remarques sur la lettre d’Adrienne Biennais.

 

Certains éléments très précis mentionnés dans ces souvenirs méritent attention.

Parmi les fréquentions de la boutique Au Singe violet, Adrienne Biennais mentionne Philippe égalité et le duc de Chartres. Le goût pour tourner des objets n’était pas étranger aux membres de la cour et à la famille royale. Madame Adélaïde (1732-1800), quatrième fille de Louis XV, s’adonnait également au tournage de l’ivoire. Il n’est pas donc pas inconcevable que ces faits soient véridiques, étant donné que Madame de Genlis (1746-1830), chargée de l’éducation des enfants de la maison d’Orléans, s’était donnée pour mission de faire découvrir à ses élèves princiers les sciences appliquées et les techniques. Elle leur fit visiter des manufactures, leur montra de nombreux métiers. À sa demande, une série de treize maquettes d’ateliers furent exécutées, dont la maquette d’un atelier de menuiserie (où se trouvent des outils servant à la tabletterie). Ces jouets éducatifs furent disposés au Palais-Royal, dans les appartements du duc de Chartres (aujourd’hui conservés au Musée des arts et métiers). Dans ses mémoires, elle précisa : « L’hiver à Paris, j’avais rendu tous les moments utiles ; j’avais mis un tour dans une antichambre et aux récréations, tous les enfants, ainsi que moi, nous apprenions à tourner. »[14]. Très proche du Palais-Royal, Biennais, dont la formation initiale est celle de tourneur, a donc pu très bien recevoir la visite de ces enfants princiers et de leur gouvernante.

 

Maximilien de Robespierre (1758-1794) habita entre 1791 et 1794 au 366, rue Saint-Honoré, chez le menuisier Duplay. Il fut donc voisin de Biennais, installé au 119. Les mémoires de sa sœur Charlotte Robespierre (1760-1834)[15], pourtant très précis, montrent qu’il consacra sa vie exclusivement au travail, ne sortait que très peu et ne mentionnent à aucun moment ce passe-temps. Adrienne Biennais ne naquit que quatre ans après la mort de Robespierre. Aussi, si ce fait est avéré, seuls les témoignages de ses parents auraient pu lui apporter ces informations.

 

La berline prise à Waterloo a longtemps été exposée à Londres chez Madame Tussaud.[16]Elle a péri dans un incendie en 1925. Est-ce la conception rationnelle et sécurisée des rangements intérieurs, proches de la tabletterie et des nécessaires de voyage, qui bénéficia des indications de Biennais ?

 

Adrienne Biennais évoque également une table en bronze, pierres semi-précieuses et corail, donnée effectivement par Caroline Murat à son frère et provenant du salon de famille de Saint-Cloud. Elle est aujourd’hui exposée au Musée national du château de Fontainebleau (dépôt du Musée national du château de Compiègne, C 244 C). Elle n’est pas signée de Biennais, mais a bien figuré au Musée des souverains (n° 366). Ce travail, habituellement attribué à un atelier napolitain, pourrait-il être de Biennais ?[17]Les indications données par sa fille sont assez précises sur biens des points. Le travail de cette table est à rapprocher de celui de l’épée dite aux coraux (conservée aujourd’hui à Fontainebleau, N 3114) et qui porte le poinçon de Biennais (1798 et 1809). Les coraux qui l’ornent provenaient également des Murat. En octobre 1836, Caroline Murat, comtesse de Lipona, fit effectivement un séjour à Paris. A cette occasion, « elle a déjà reçu la visite de quelques personnages distingués. L’ex-reine de Naples a visité aujourd’hui la colonne de Vendôme et s’est ensuite rendue à l’Arc –de-triomphe de l’Etoile »[18] Il n’est pas impossible que Biennais ait fait partie de ces visiteurs.

Toutes les filles de Martin Guillaume Biennais firent de beaux mariages. Denise Eugénie Biennais (1799-1860) épousa Jean-Jacques Berger (1790-1859) le 5 juin 1820.[19] Ce fils d’un négociant de Thiers, avoué de Paris, fut élu député du Puy-de-Dôme de 1837 à 1846. Bonapartiste, il favorisa l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte, qui le nomma en 1848, préfet de la Seine. La remise d’une épée de Napoléon 1er au Prince–Président, acte hautement symbolique, n’a pas trouvé d’écho dans la presse du temps. A ce stade des recherches, il est difficile de rattacher cette information à une épée existante. Cependant une chose est certaine, au moment de l’inventaire de la veuve Biennais, le 16 novembre 1859, il y avait encore, dans la bibliothèque de sa chambre : « onze lames d’épée, six autres épées, une épée et trois foureaux »[20].

Élu sénateur en 1853, il mourra le même jour que sa belle-mère Marie-Anne Biennais, le 8 novembre 1859, au 173, rue Saint-Honoré, au-dessus de l’ancienne boutique Au Singe Violet, où il vivait avec son épouse et sa belle-mère. L’enterrement eut lieu en même temps à Saint-Roch, le 11 novembre suivant : « C’était un triste spectacle que celui de ces deux chars funèbres aux mêmes initiales, se suivant à quelques pas. A l’église, ils ont été placés de chaque côté de l’entrée du chœur ; puis, après l’absoute, le lugubre cortège a pris le chemin du cimetière du Père-Lachaise où se trouve le caveau de famille. »[21]

 

Un an après la parution de ces deux derniers articles, meurt dans sa villégiature à Menton, le 12 mars 1884, Adrienne, dernière survivante des six filles de Martin Guillaume Biennais. Elle emporte avec elle les derniers souvenirs de cet artiste célèbre et d’une époque définitivement révolue.

 

 

                                                                                              

 

 

[1] Concernant l’activité d’orfèvre de Martin Guillaume Biennais, il sera nécessaire de se référer au catalogue d’Anne Dion-Tennebaum, L’Orfèvre de Napoléon. Martin-Guillaume Biennais, Paris, musée du Louvre, 15 octobre 2003-19 janvier 2004, Paris, 2003, p.11 et à son article « Martin-Guillaume Biennais : une carrière exceptionnelle », Annales historiques de la Révolution française, n° 340, avril-juin 2005, p. 47-55.

Il faut encore citer le mémoire de maîtrise inédit de Christophe Levadoux, Martin-Guillaume Biennais-1764-1843, orfèvre et tabletier de Napoléon 1er. Mémoire de maîtrise, Paris IV Sorbonne, 2000-2001, sous la direction d’A. Mérot.

Je tiens à remercier Aurélie Caron, documentaliste à Malmaison pour son aide dans la recherche de ces documents et Christophe Pincemaille pour ses conseils précieux.

[2] Arch. nat. MC/CVIII/911, 18 novembre 1809.

[3] Dix ans plus tard, Adrienne Biennais (1798-1884) épousa par contrat du 8 novembre 1819 Jules Pinçon de Valpinçon, fils d’un négociant de Mayenne qui « se destinait au commerce » (Arch.nat., MC/ CVIII/968, 8 novembre 1819). Seul Cambacérès fut cette fois présent.

[4] Arch. nat., MC/CVIII/1143, 30 mai 1843.

[5] La tombe de Martin Guillaume Biennais se trouve dans la 57 e division.

[6] Dans le catalogue de vente des biens de la veuve Biennais, qui eut lieu à l’hôtel des commissaires-priseurs, le 24 décembre 1859, soit trois semaines après sa mort, se trouvent des dessins des deux artistes, parmi des modèles d’orfèvrerie et d’armoiries, quelques meubles. Le fonds Biennais, conservé aujourd’hui au cabinet des dessins des Arts décoratifs, provient de cette vente. Ceux-ci sont attribués à l’architecte de l’Empereur, Charles Percier (1764-1838) et à son élève Louis–Hippolyte Lebas (1782-1867). L’Album factice de dessins provenant de l’atelier de Biennais, est conservé aux Arts Décoratifs ( CD 3157 à 3263).

[7] La médaille d’or lui fut décernée en 1806, lors de l’exposition des produits de l’industrie française, grâce à plusieurs pièces d’orfèvrerie, « un nécessaire très riche et une pièce d’ébénisterie ornée de bronze doré, d’un goût parfait » Rapport du jury sur les produits de l’industrie française, 1806, présenté à S.E. M. de Champagny, ministre de l’Intérieur, n° 563, p. 204.

[8] Six filles naquirent de ses deux mariages. Un dessin appartenant à une collection privée et reproduit dans le catalogue de la vente du 19 novembre 2017 à Fontainebleau chez Me Osenat (p. 152), représente Biennais entouré de ses six filles et de sa seconde épouse Marie Anne Gaudin.

[9] Ph. Burty, F.D.Froment-Meurice, argentier de la ville, 1802-1855, Paris, 1883, p. 11-13.

[10] La fabrique de chocolat de François Jules Devinck (1802-1878) était établie au 175 de la rue Saint-Honoré.

[11] A partir de la Restauration, Biennais travailla beaucoup pour les cours étrangères, notamment pour la Russie et le royaume de Wurtemberg (cf. A . Dion-Tenenbaum, op. cit, 2005, p. 55).

[12] De ses deux unions, M. G. Biennais eut six filles. De son mariage avec Rosalie Maheu naquit Adrienne Rosalie (1789-1828), qui épousa Louis Henri Gibert. De son second mariage, naquirent : Marie Anne (1790-1843), épouse de Bernard-Hélène Dutartre, Amélie Victorine (1796- ?), épouse de Charles Pierre Dutartre, Adrienne (1798-1884) épouse de Jules Pinçon de Valpinçon, Denise Eugénie (1799-1860) épouse de Jean-Jacques Berger et Charlotte Coralie (1801-1855), épouse de Jean Foussier.

[13] Arch. nat., MC/DC/XII/170, 26 mai 1884.

[14] Mémoires de Madame de Genlis, rééd. Paris, 2004, p. 263.

Je tiens à remercier Victor Hansbuckler pour ses conseils sur ce sujet.

[15] Mémoires de Charlotte Robespierre sur ses deux frères, 2e édition, Paris, 1835.

[16] Un morceau du châssis est exposé dans le pavillon des voitures de Malmaison.

[17] H. Barbet de Jouy, Notices des antiquités, objets du Moyen-âge, de la Renaissance et des temps modernes, composant le musée des souverains, Paris, 1868, p. 264, not. 366, C. Samoyault-Verlet, J. P. Samoyault, Château de Fontainebleau, Musée Napoléon 1er, Paris, 1986, p. 116.

[18] Le Moniteur de la religion- sentinelle des mœurs, 1er octobre 1836, p. 274.

[19] Arch. nat., MC/XVI/1018, 5 juin 1820.

[20] Arch. nat., MC/ET/II/1108, 16 novembre 1859.

[21] Le Constitutionnel, 11 novembre 1859.

 

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